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Aujourd’hui je me libère de toutes les rancunes que je nourris en moi . Le moment présent est tellement plus important pour moi que le fardeau du passé que je porte. Ruth Fishel

Pardonner c’est fondamentalement faire don de quelque chose à quelqu’un. Le sens du terme est donc fidèle à son étymologie : perdonare, en latin (per/donare). Il s’agit du don que l’on fait de son droit au ressentiment après avoir été la victime d’une offense. Le pardon consiste en effet à vaincre son ressentiment envers un offenseur, non pas en niant son droit au ressentiment, mais en s’efforçant de considérer l’offenseur avec bienveillance, compassion et même amour.

LE PARDON N’EST PAS L’OUBLI, NI LA RECONCILIATION

Le pardon est l’antithèse de l’oubli ; car si l’on oublie le tort qui a été fait, alors, il n’y a plus rien à pardonner. Excuser, amnistier, dispenser de peine, oublier et/ou nier ce qui s’est passé ne constituent pas des aspects légitimes du pardon. Chacune de ces démarches peut empêcher le pardon authentique de se produire ou peut résulter en un simulacre de pardon.

CE QUI FACILITE LE PARDON

La présence d’excuses sincères de la part de la personne qui a commis le tort constitue un élément de facilitation très important. Le fait que l’acte négatif n’était pas réellement intentionnel joue également un rôle : on peut plus facilement pardonner un acte résultant d’un incident fortuit ou d’une négligence qu’un acte dont l’intention était délibérément nuisible.

Un autre facteur important est la proximité sociale entre l’auteur de l’acte négatif et sa victime : on est plus enclin à pardonner un membre de la famille que quelqu’un que l’on connaît à peine. Plus une personne est émotionnellement stable, moins elle éprouve de ressentiment durable. Les tendances dépressives, colère, anxiété et tendance à la rumination sont les aspects les plus liés au ressentiment durable.

PEUT-ON APPRENDRE A PARDONNER ?

Chez les thérapeutes, le pardon a commencé à gagner en popularité dans les années 80, essentiellement comme moyen de réguler certaines émotions comme la colère, l’anxiété, et la dépression. Les cliniciens qui ont introduit l’usage du pardon en psychothérapie ont noté que la capacité à pardonner de leurs clients facilitait la récupération et la guérison.

Les sept étapes du pardon

Comment pardonner à ceux qui nous ont déçus, trahis ou blessés ? Nous avons posé la question à Gabrielle Rubin et à Nicole Fabre, deux psychanalystes qui ont publié un ouvrage sur le sujet. Vade-mecum en sept temps.
Accordés sans douleur pour un mot ou un geste de trop, il y a les pardons ordinaires. Et puis il y a les pardons extraordinaires, ceux que nous avons tant de mal à concéder, après avoir été blessés au plus profond de nous-mêmes. Pardonner à un parent bourreau, à un agresseur ou au chauffard qui a renversé l’un de nos proches implique un cheminement intérieur long et exigeant, difficile à vouloir, dur à parcourir.

Acte de courage pour certains, aveu de faiblesse pour d’autres, qui lui préfèrent la vengeance, le pardon va rarement de soi. Pourtant, toutes les victimes qui ont pardonné s’accordent à dire que cette démarche les a libérées, qu’elle a même insufflé une nouvelle énergie dans leur vie.

Car le pardon sert avant tout à se libérer soi-même. Qu’on le demande ou qu’on l’accorde, il est le fruit d’un vrai travail sur soi dont l’issue reste pourtant incertaine : on peut sincèrement souhaiter pardonner sans forcément y parvenir…

Le processus opère en partie à notre insu et, surtout, nous ne sommes pas tous égaux devant le pardon. Sa « réussite » dépend moins de l’outrage subi que de la façon dont nous l’avons vécu. Ainsi, deux enfants abandonnés n’auront pas le même destin. L’un pourra aborder la vie comme un combat, l’autre comme une lutte perdue d’avance… Ils auront peut-être pardonné à leurs parents, peut-être pas.

Chaque histoire est singulière et il existe autant de pardons que de victimes. Malgré tout, nous avons tenté, avec Nicole Fabre et Gabrielle Rubin, deux psychanalystes qui se sont longuement penchées sur la question, d’identifier les grandes étapes qui jalonnent ce chemin.

Décider de ne plus souffrir

Si l’offense ne cesse pas, aucun processus de pardon ne peut s’enclencher. Mais comment y mettre un terme ? Face au coupable – un employeur misogyne, un ami qui a trahi sa parole… –, la victime peut perdre ses moyens, paralysée par sa souffrance.

La première étape consiste donc à décider de ne plus souffrir, à sortir de la violence subie. Quitte à prendre du champ et à mettre de la distance entre soi et le responsable de sa douleur. Dans les cas particulièrement graves, lorsque notre intégrité physique ou psychique est en jeu, la plainte déposée en justice peut être le seul moyen de franchir cette première étape et de mettre le coupable face à ses responsabilités.

Pardonner à un agresseur n’empêche pas de porter plainte car, comme l’a écrit la philosophe Simone Weil, « on ne peut pardonner que ce que l’on peut punir ». La justice, rendue au nom de la société, objective la faute, reconnaît la blessure et désigne le coupable, mais seule la victime, si elle le souhaite, peut pardonner.

Reconnaître que la faute existe

Le passé ne s’efface pas. Inutile de chercher à oublier l’offense. Ce mécanisme de défense enfouit la souffrance, la haine et la rancœur quelque part dans l’inconscient où leur force destructrice continue d’opérer avec encore plus de violence. Reconnaître l’agresseur comme coupable d’une faute, c’est d’abord une nécessité pour soi, pour vivre.

Cela permet, précise la psychanalyste Gabrielle Rubin, de « retourner la culpabilité à l’agresseur et, ainsi, de renouer un lien avec soi-même ». Cela pourra aussi nous éviter de développer des maladies psychosomatiques, ou des conduites d’échecs professionnels et affectifs à répétition

Exprimer sa colère

Pour pardonner, la victime doit en vouloir à son « bourreau », c’est-à-dire reconnaître sa propre souffrance et accepter qu’elle « sorte ». Agressivité, colère, voire haine sont utiles dans un premier temps. Elles sont signe de bonne santé psychique, signe que la victime n’est pas dans le déni et ne porte pas la faute de l’agresseur sur elle. Comme l’explique Gabrielle Rubin, « la haine est un sentiment très violent, que l’on ne peut pas faire disparaître.

Si l’on n’est pas capable de la retourner contre son agresseur, on la dirige nécessairement contre soi », au risque de déclencher un processus d’autodestruction. Exprimer directement sa colère, sa haine ou ses reproches à son agresseur est rarement envisageable : le coupable peut ne pas se reconnaître comme tel, ou exercer une emprise trop forte sur la victime pour qu’elle ose l’affronter.

Il est quand même possible de faire un travail de détachement en soi : écrire dans un cahier tout ce qui nous anime, s’ouvrir à une personne de confiance ou encore consulter un psychothérapeute si la situation est trop douloureuse.

Cesser de se sentir coupable

La plupart des victimes se sentent paradoxalement coupables de ce qui leur est arrivé. Tenter de savoir quelle part de nous-même a été blessée va permettre de relativiser ce sentiment et la souffrance qui l’accompagne. Est-ce notre orgueil, notre réputation, notre honneur, notre intégrité physique ?

Répondre à cette question peut aider à « se disculper, c’est-à-dire à reconnaître que sa responsabilité n’est pas engagée », précise la psychanalyste Nicole Fabre. Il s’agit alors de se détacher de son moi idéal, cette image fantasmée de nous-même et de sortir de la litanie « je suis impardonnable de ne pas avoir agi différemment ». Dans certains cas dramatiques – viol, inceste… –, se pardonner à soi-même peut se révéler indispensable pour continuer à vivre.

Comprendre celui qui nous a blessé

Haine et ressentiment peuvent aider à survivre à une agression, mais à long terme, ils nous détruisent. Pour en sortir, il est utile d’essayer de se mettre dans la peau du coupable. Cela donne du sens à l’acte qui nous a fait mal, et dans une certaine mesure, le rend « acceptable ». Comprendre les motivations du coupable ne vise surtout pas à l’excuser, mais à reconnaître ses faiblesses. Le philosophe Paul Ricœur appelait ainsi à « ne pas limiter un homme à ses actes, aussi monstrueux soient-ils ».

Prendre son temps

Pardonner, c’est tout sauf passer l’éponge. Un pardon accordé trop vite ne soulagera personne. Il est conseillé d’attendre qu’il s’impose, presque de lui-même, de « laisser passer le temps tout en étant actif dans le processus », explique Nicole Fabre.

Un pardon accordé trop rapidement peut être perçu par le coupable comme une absolution. Pardonner sans cette attente serait un leurre pour la victime, qui éprouverait encore du ressentiment, même inconsciemment. Et le danger serait, une fois de plus, que cette illusion de pardon se retourne contre la personne blessée.

Redevenir acteur de sa vie

Comment savoir si nous avons vraiment pardonné ? Lorsque nous ne ressentons plus ni colère ni rancœur à l’encontre de celui qui nous a fait souffrir, « lorsque tout sentiment de culpabilité pour ce qui s’est passé a disparu », ajoute Gabrielle Rubin, on peut considérer que l’on a pardonné.

Un autre signe indubitable que le pardon a été accordé est, selon Nicole Fabre, « le passage à l’acte, qui conduit au retour de la mobilité dans sa vie ». Le pardon est souvent un acte libérateur dans lequel la douleur se dissout et qui permet à l’offensé de redevenir acteur de sa vie, de ne plus subir, voire même de revenir plus fort. Pour Nicole Fabre, « pardonner, c’est s’agrandir, c’est laisser en soi la place pour accueillir l’autre. Le vrai chemin de la libération, c’est de franchir le pas qui permet d’aller au-delà du pardon. »

Pardonner, un vrai outil psychologique.  » Le faible n’arrive pas à pardonner. Le pardon est l’apanage du fort. » Mahatma Gandhi

Parvenir à tourner la page s’avère indispensable dans de nombreuses thérapies.

Vous gardez une rancœur tenace envers un ancien collègue et vous vous réveillez certaines nuits en y pensant? Vous êtes fâché avec une partie de votre famille et n’iriez pour rien au monde leur rendre à nouveau visite? Attention à vous et à votre santé physique et psychique! De récentes études ont prouvé que les personnes qui ont du mal à lâcher leur ressentiment souffrent de tension élevée. On a aussi observé que les victimes d’inceste qui participaient pendant toute une année à des ateliers autour du pardon étaient moins vulnérables à la dépression et à l’anxiété que celles qui n’y avaient pas eu droit (Université du Wisconsin). Des recherches qui confirment ce que chacun sent dans son for intérieur: pardonner fait du bien, et surtout à soi-même.

Pas étonnant, donc, que cette question se pose lors de nombreuses psychothérapies. Pour celui-ci, il s’agira de ne plus en vouloir au père absent qui a gâché son enfance ; pour cette autre, il faudra accepter la trahison de son ex-mari, ou le fait que son ado accumule des délits de plus en plus graves. Ce sont d’ailleurs les conflits engendrés par ces situations qui, souvent, suscitent la première demande de consultation.

Connotation religieuse

Pourtant, chargé de références religieuses, le fait de «pardonner» est rarement nommé comme tel par les psychothérapeutes. «Je fais attention à ne pas employer ce terme qui est encore très connoté religieux», explique le psychanalyste Jacques Arènes, auteur de La Quête spirituelle hier et aujourd’hui(Éditions du Cerf). Le pardon reste entaché d’un certain dolorisme judéo-chrétien qui fait lever de nombreuses résistances chez nos analysants. C’est pourtant bien de cela qu’il est question pendant la cure: entamer un processus qui aboutira à pardonner au réel d’être ce qu’il a été.» «Processus», «chemin» et même «voyage», selon le Pr Robert Enright, de l’Université du Wisconsin, le pardon semble pour les psychologues tout sauf le fruit d’une grâce instantanée. «Il n’y a que dans les films au cinéma que l’on voit soudain le héros libérer son abuseur des dommages qu’il a perpétrés!», relève Jacques Arènes. Dans la vraie vie, parvenir à pardonner demande vigilance et endurance.

Vigilance, car un pardon trop facile peut cacher du déni. Jean-Paul Sauzède, thérapeute de couples et coauteur avec son épouse de l’ouvrage Créer un couple durable (Éditions Interéditions), se méfie de la tendance fréquente à vouloir trop rapidement effacer la faute: «Avec ce mari qui a été infidèle, ou cette compagne qui s’est mise à boire un peu trop, le patient peut être tenté de faire “comme si rien ne s’était passé”, observe-t-il. Cette tentative de “recouvrement”, voire d’“effacement” du malaise est nocive. Elle se met en place entre des partenaires qui en réalité souhaitent éviter les changements nécessaires, et faire comme si tout était comme avant.» Attention donc au pardon prématuré qui maintient celui qui a trahi ou déçu dans une posture illusoire, celle où il demeure celui qu’on voudrait qu’il reste.

Accepter les failles

Autre danger d’un pardon express, l’effondrement. «Si des personnes outragées restent accrochées à leur ressentiment, ce peut être pour recouvrir un grand sentiment de vide intérieur», observe Jacques Arènes. Ainsi, à propos de cette patiente qui ne cessait sur le divan de cracher sa haine envers une mère qu’elle ne voyait même plus, il affirme: «Elle avait construit sa vie entière autour de cette haine.» Impossible alors, avec un certain volontarisme boy-scout, de l’inciter à tourner la page. Et si elle se retrouvait soudain confrontée à sa profonde dépression?

Le pardon demande aussi une extrême persévérance. Il est souvent le fruit d’un processus long, chaotique. «Pour les partenaires d’un couple, il faut d’abord s’interroger sur ce qui a généré la crise, la trahison, avance Jean-Paul Sauzède. Puis reconnaître la blessure et avancer désormais, autrement, avec cette cicatrice.» Pas de «grande lessive conjugale», donc, mais une relation renouvelée qui intègre désormais la découverte que l’autre n’est pas celui ou celle que je croyais et que je dois renoncer à son image idéalisée.

«Une véritable re-création», selon Jacques Arènes: «Pardonner revient à percevoir la profondeur de la réalité, toujours ambivalente et complexe: ni tout noir, ni tout blanc, l’autre qui m’a blessé(e) peut être délié de ma haine et cette liberté amène du nouveau dans ma vie aussi.» Lorsqu’on n’a pas affaire à l’impardonnable (qui existe aussi), comprendre ce qui s’est passé et aboutir à une paix relative revient à accepter les failles de l’être humain. Pour ceux qui parviennent à pardonner, ce qui se joue, c’est donc toujours un peu «bienvenue dans le réel»!